Newsletter 43 – Pourquoi et où sont partis les collaborateurs ? Comment les faire revenir ?

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réconcilier talents entreprises

Beaucoup sont sortis, trop peu demandent à entrer

« Que sont mes collaborateurs devenus, que j’avais de si près tenus… ? », pourraient fredonner aujourd’hui bien des entreprises, en parodiant le poète médiéval Rutebeuf chanté par Léo Ferré.

Une DRH confie : « Mais où sont donc passés les gens, puisque le taux de chômage est bas et qu’on a beaucoup de mal à recruter ? » Où qu’ils soient et étant donné cette nouvelle donne du marché de l’emploi, leur tolérance sera désormais moindre à des conditions de travail et un niveau de salaire qu’ils jugeraient insuffisants. Que faudrait-il changer pour que les démissionnaires reviennent et garder ceux qui sont encore là ?

 

Que ne veulent-ils plus ? Et que veulent-ils de plus ?

Selon une étude menée par BVA pour VisiPlus Academy, la crise du Covid a poussé près d’un actif sur deux à envisager, initier ou réaliser une reconversion professionnelle en 2021.

Deux tiers sont des femmes, sans doute particulièrement en quête, comme les jeunes, d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée.

Les entreprises sont sommées de remettre radicalement en cause certains vieux standards comme le travail en présentiel, le fait que l’activité soit formatée par des horaires à respecter plutôt que par des objectifs à atteindre, le contrôle désormais vécu comme abusif des managers qui n’accordent pas assez d’autonomie, la valorisation stéréotypée de ceux qui restent tard le soir…

Le temps passé en confinement chez soi, propice à la réflexion, s’est combiné à la crise climatique devenue évidente pour impacter le sens qu’on veut dorénavant trouver à ce qu’on fait : le collaborateur aspire à se sentir utile dans une activité qui sert la société et respecte la planète.

À défaut de se voir proposer un poste qui coche toutes ces cases, beaucoup se lancent dans l’entrepreneuriat.

Mais redonner du sens suffit-il, quand on constate que le domaine de l’économie sociale et solidaire peine lui aussi à recruter, et qu’on embauche au contraire à tout-va dans le numérique et le service à distance (plate-forme de e-commerce, formation professionnelle en ligne, consultations en visio-conférence), secteurs actuellement attractifs qui ont toute facilité à lever des fonds et à recruter, alors que le modèle du « faire ensemble » doit encore s’imposer ?

 

Le retour du fils prodigue : le salarié-boomerang

L’herbe a pu sembler plus verte ailleurs sans qu’elle le soit vraiment…

Le monde anglo-saxon observe déjà le retour de ceux des démissionnaires qui, ayant gardé de bons rapports avec leur entreprise, sont prêts à y revenir.

Le phénomène est tel aux Etats-Unis que les entreprises organisent des réseaux d’anciens pour mieux garder le contact et les récupérer, enrichis de nouvelles compétences.

Il serait intéressant de savoir ce que ces salariés-boomerangs n’ont pas trouvé durant l’escapade professionnelle dont ils sont revenus, car les atouts qu’ils reconnaissent in fine à leur entreprise sont certainement à conserver et valoriser.

De même on serait preneur de connaître plus finement les bénéfices trouvés par ceux qui ont persisté dans leur reconversion, tel ce consultant en stratégie devenu prof de yoga en province, ou telle salariée partie pour concilier famille et travail dans un cadre environnemental préservé…

Quelle importance a pris notamment la qualité de vie globale qu’on s’offre à soi et aux siens (en priorité à ses enfants), une qualité de vie qui dépend d’un environnement bien plus large que celui seul de l’entreprise ?

 

Le critère du « télétravaillable » impose deux poids, deux mesures

On sait que parmi les secteurs qui peinent actuellement le plus à recruter sont ceux où le télétravail n’est pas possible.

La charge qui incombe à ces travailleurs de l’ombre relevant des services/back office s’accroît d’autant plus que prospère une autre catégorie : celle des travailleurs très qualifiés et bien rémunérés qui ont accès au télétravail, qui vivent à ou avec l’international, qui trouvent satisfaction et gratification dans leur emploi et qui ne se font aucun souci pour leur retraite qu’ils prendront bien volontiers sur le tard.

Ils peuvent se laisser guider par leur principe de plaisir, sans attache matérielle, idéologique ni morale qui les ficellerait à leur entreprise. Selon le philosophe Denis Maillard[1], cette catégorie de favorisés aborde désormais le travail comme un bien de consommation et « peut choisir de vivre et de travailler quand, où et comme elle le désire ».

 

Les nouveaux fugitifs : la troisième catégorie

Entre les deux se profile maintenant une troisième catégorie d’employés ou de cadres, managers ou pas, qui s’étaient fait une raison de leur vie jusqu’à la crise du Covid mais qui aujourd’hui dénoncent l’exigence de performance accrue depuis le passage aux 35 h, le non-respect du droit à la déconnexion, la dépersonnalisation des relations à distance multipliées par le télétravail, frustrations qu’exacerbent certains influenceurs sur les réseaux sociaux.

Denis Maillard avance qu’on ne pourra plus leur vendre un « bonheur différé » qu’on ne goûterait qu’à la retraite, sorte de paradis situé au-delà de la vie active comme celui que la religion promettait au-delà d’une existence vertueuse. Eux aussi veulent que leur job devienne une « expérience sensationnelle ». Les voilà écartelés entre leur besoin de vivre ensemble (la convivialité en entreprise) et leur souci de soi plus individualiste.

C’est l’équation de cette nouvelle tension que les DRH sont à présent mises au défi de résoudre pour retenir ces collaborateurs. Car l’engagement de ceux-ci ne dépendra plus seulement des conditions DE travail mais aussi des conditions DU travail.

Celles-ci s’amélioreront quand chacun sera reconnu pour le travail accompli, quand sera clairement présenté ce qu’il fait et à quoi il sert dans une chaîne de valeur, quand il sera évalué aussi pour ce qu’il est, quand on instaurera un climat de confiance propre à le sécuriser psychologiquement et qu’on formera à un management des collaborateurs plus respectueux (soft skills) et plus efficient (méthodes et outils)… Des fondamentaux humains en somme !

 

[1] Denis Maillard, « Retraite : la fin du “bonheur différé” », Philosophie Magazine, janvier 2023.

 

 

Pour aller plus loin…

indispensables mais invisiblesIndispensables mais invisibles. Reconnaître ceux qui font marcher la société, de Denis Maillard, 2021, Fondation Jean Jaurès/L’Aube.

Les travailleurs modestes – du livreur à la caissière en passant par le chauffeur – sont, avec les soignants, ceux qui risquent leur vie pour faire tourner les services essentiels durant une ¬pandémie. Mais que faire pour que la soudaine visibilité dont ils ont bénéficié dépasse les seuls applaudissements tous les soirs à 20 heures ? Quelle politique conduire afin que leur engagement d’hier ne se transforme pas, demain, en une légitime colère ?
Denis Maillard, philosophe politique de formation, est le fondateur d’un cabinet de conseil en relations sociales.

 

 

les salaries dabordLes salariés d’abord. DRH à contre-courant, De Erik Leleu, 2022, L’Harmattan.

De nombreux Directeurs des Ressources Humaines estiment qu’ils sont entre la direction et les syndicats comme « entre le marteau et l’enclume ». Si pendant 40 ans j’ai vécu mon métier heureux et sans stress, c’est que je fus au clair avec mon positionnement : ni pour la direction, ni pour les syndicats, encore moins pour les actionnaires mais uniquement pour les salariés ! L’entreprise n’est rien sans ses salariés. Elle ne vit, prospère, satisfait ses clients, fait des bénéfices et distribue éventuellement des dividendes que grâce à leurs compétences, leur engagement, leur esprit d’équipe… Cette conviction, par les résultats obtenus, a démontré son efficacité dans les entreprises dont j’ai été le DRH.