Newsletter 56 – L’intégrité face au compromis

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Trouver l’équilibre entre compromis et intégrité est un défi quotidien dans le monde de l’entreprise. Des exemples concrets montrent qu’il est possible de concilier les deux, mais le risque de « burnout éthique » existe. Pour éviter la compromission, il est important de rester fidèle à ses valeurs et de considérer les impacts de ses décisions.

Une frontière plus diffuse qu’il n’y paraît

Où finit le salutaire compromis et où commence l’insupportable compromission ?

Ce n’est pas le dernier sujet du bac philo mais une question à laquelle nous nous heurtons chaque jour, que l’on en ait conscience ou pas. Les acteurs de l’entreprise n’y échappent pas.

Chacun cherche à trouver dans la complexe situation du moment de quoi justifier son positionnement tout en continuant à se regarder dans la glace.

N’oublions pas cependant qu’il y a quelques exemples historiques de compromission incontestablement vertueuse : celle du futur roi Juan Carlos auprès du dictateur Franco pour en rester le dauphin et, à sa mort, engager l’Espagne dans une démocratisation heureuse.

Ou encore celle du trop méconnu William Wilberforce, ce député britannique qui parvint enfin en 1833 à faire voter l’abolition de l’esclavage, non plus en ralliant moralement la chambre des Communes comme il avait échoué tant de fois à le faire, mais en manœuvrant de façon politicienne pour arriver à ses fins.

Ceux-là ont su flétrir un peu l’image narcissique de leur propre intégrité pour servir plus grand qu’eux. Dès lors, où placer le curseur ?

 

L’agilité, d’accord, mais jusqu’où ?

Il va de soi que le collectif entreprise ne parvient à « aller plus loin ensemble » que si chacun montre de l’agilité, une bonne volonté à s’adapter et un recours permanent à la négociation.

C’est ainsi qu’on aboutit à des accords, qu’ils portent sur le télétravail, les salaires ou la politique de diversité et d’inclusion…

À titre personnel, les managers font aussi des concessions quand ils acceptent de se former sur de nouveaux métiers, d’user de nouvelles méthodes ou outils, d’endurer des rythmes plus soutenus…

Tous ces divers compromis apportent leur lot de bénéfices : au niveau collectif, de l’entente durable au sein de l’entreprise ; au niveau individuel, de possibles promotions, avec plus de visibilité et de pouvoir, voire une gratification de l’ego.

 

Attention au burnout éthique

Il n’en demeure pas moins le risque sérieux d’avaler ou de faire avaler des couleuvres, comme lorsqu’un responsable connaît la décision déjà prise d’arrêt de tout ou partie de l’activité mais « doit » continuer à communiquer comme si de rien n’était.

Quand on a le sentiment d’avoir perdu son âme, sa crédibilité ou sa réputation, on peut sombrer dans un « burnout éthique ».

Comment se débrouille-t-on, par exemple, avec la décision de ne pas proposer un médicament au remboursement seulement parce que son prix de vente ne garantirait plus alors une rentabilité suffisante ?

Ce type de pressions et de contraintes sont d’autant plus destructrices qu’elles sont subies sans qu’on ait assez de soutien pour en élaborer les enjeux personnels et leur éventuel dépassement.

 

Quelle boussole pour éviter de tomber dans la compromission ? 

Rester intègre consiste d’abord à rester fidèle à ses valeurs en toutes circonstances.

Encore faut-il connaître celles qui priment à nos yeux car chacun a sa manière particulière de donner sens à sa vie.

Pour éviter de se laisser trop dévoyer par son contexte professionnel, mieux vaut s’accorder dans sa vie du temps pour le minimum d’introspection nécessaire et la prise de recul qui s’ensuit, par exemple en pratiquant la méditation, en s’accordant de brefs séjours en retraite ou en recourant à un coaching…

Ensuite, on respectera d’autant mieux sa ligne de conduite intérieure qu’on prendra en compte l’utilité générale et qu’on prendra la mesure des impacts systémiques des décisions, celles de la hiérarchie comme les siennes : par-delà l’atteinte des objectifs immédiats le plus souvent sectoriels, auront-elles des dommages collatéraux ?

 

Pour une heureuse conjugaison des grands principes et de la dure réalité

Le juste compromis impose forcément une vision globale qui respecte à la fois nos grands principes et ce que la réalité nous impose dans la pratique, sans quoi on peut miser qu’à terme, il ne contribuera pas à un monde meilleur.

Ainsi, pour dépasser l’apparent dilemme entre s’appuyer sur des données pour améliorer la performance et respecter la vie privée, l’entreprise peut adopter une politique de transparence totale concernant leur collecte et leur utilisation.

De même en matière d’inclusion : on évitera l’écueil de créer des divisions internes par ce « trop de discrimination positive » vécus par certains, dès lors que tous les collaborateurs auront été formés aux biais inconscients qui peuvent amener n’importe qui à exclure sans le savoir.

Enfin, toutes ces dispositions ne sauraient nous dédouaner de notre irréductible part de responsabilité individuelle : quelles conséquences mes choix ont-ils sur l’organisation ?

Est-ce après moi le déluge ou bien ai-je posé mes congés ou décidé de quitter mon emploi en anticipant ce que cela impliquera pour les autres, équipes ou collègues ?

Des choix éclairés et éthiques se traduisent forcément par une communication adéquate, qui ménage de la place pour le feed-back.

 

Tenir le juste cap de la justesse et de la justice

Et vous ?

Vous arrive-t-il de vous sentir tiraillé(e) entre ce à quoi vous n’entendez pas déroger et ce qu’on attend de vous ?

Votre environnement laisse-t-il à votre courage la possibilité de signaler ce qui dépasse vos bornes ?

Veillez-vous à ne pas occulter ce qu’il peut en coûter à tel ou tel de vos collaborateurs de rendre les armes devant les bonnes raisons que vous avancez afin qu’ils fassent désormais comme vous dites ?

Et comment vous ressourcez-vous pour maintenir une conduite juste, tout en justesse et soucieuse de justice ?

 

Pour aller plus loin…

du compromisDu compromis et des compromis pourris. Réflexion sur les paix justes et injustes, de Avishai Margalit, Paris, Denoël, 2012.

Être capable de faire des compromis est une grande vertu politique, particulièrement lorsqu’il s’agit de sauver la paix. Mais quelles sont les limites morales à l’acceptation des compromis ? À partir de quand une paix garantie devient-elle injuste ? Et qu’en est-il lorsqu’un compromis pourri se révèle nécessaire ? En étudiant une vaste série d’exemples historiques, pour l’essentiel tirés du XXᵉ siècle, Avishai Margalit propose une médiation approfondie et originale sur la nature même du compromis, son ambiguïté morale intrinsèque et ses implications toujours lourdes de conséquences. Il nous offre ainsi des outils pour analyser de manière probe et précise les choix de nos dirigeants. Le compromis, à la condition d’être pensé, peut être la moralité en actes.