Newsletter 40 – Quiet quitting : démission silencieuse ou quête de sens criante ?

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quiet quitting

Conséquence logique d’un environnement menaçant ?

Après la « grande démission » observée d’abord aux États-Unis puis en France depuis fin 2021 (520 000 démissions par trimestre dont 90 % d’emplois en CDI), sa version soft vient percuter le monde du travail : c’est la « démission silencieuse » (Quiet Quitting).

On s’acquitte honnêtement de son travail tel qu’il est défini par sa fiche de poste, mais on met son engagement en retrait. Convenons qu’une succession de menaces n’en finit pas de pousser chacun à s’interroger : pandémie, puis raréfaction de certaines matières premières cruciales, puis guerre en Europe avec sa possible escalade nucléaire et sa conséquente pénurie énergétique, puis dérèglement climatique avec son cortège de fléaux : canicule, sécheresse, incendies, inondations, récoltes compromises…

Parce que ces dangers rappellent combien l’existence est fragile et précieuse, nombreux sont ceux qui se demandent si, désormais, l’essentiel du sens de leur vie est encore à placer dans leur activité professionnelle. Le phénomène est si massif qu’il a donné lieu à 90 millions de vues sur les réseaux sociaux !

 

Démission ou légitime prise de recul ?

Ceux qui n’ont pas les moyens de réduire leur cadence (indépendants et auto-entrepreneurs, tout comme les dirigeants d’entreprises soumises à l’obligation de performance dans un contexte concurrentiel) auront tôt fait de traiter ces « pseudo-démissionnaires » de paresseux qui se contenteraient de ne faire que le « minimum syndical » (qui est, après tout, ce que dicte le droit du travail).

Ne font-ils pas au contraire preuve d’un discernement salutaire quand ils se préservent du surmenage qui mène à l’épuisement professionnel, en usant de leur droit à la déconnexion et en refusant qu’on leur impose des objectifs démesurés au regard du rôle qu’on leur avait initialement défini ?

Le collaborateur n’est-il pas lucide quand il lâche l’illusion d’être indispensable et se réfère à d’autres valeurs que l’ambition, le dépassement et le challenge à tout crin et quelles que soient les conditions (manque de ressources, délais irréalistes, désorganisation, complexité…) ?

Pourquoi consacrerait-il l’intégralité de son engagement à l’entreprise, alors que d’autres instances également collectives (associatives, caritatives, politiques…) peuvent tout autant mériter d’en avoir leur part, ou qu’il entend mener deux activités en parallèle ? Quelle qu’en soit la motivation, cette démission silencieuse ne cesse, après la vague du covid et du télétravail, de bousculer le rapport de force entre salariés et employeurs.

L’entreprise doit s’interroger.

 

Une opportunité et a minima une nécessité pour les entreprises 

La démission silencieuse est une sorte de résistance passive qui dénonce implicitement une palette de dysfonctionnements : le caractère toxique du management quand il appelle à maintenir les objectifs de production alors que les effectifs baissent ; la succession de réorganisations qui découragent parce qu’elles font perdre de vue l’intérêt du client final comme la satisfaction du travail bien fait ; la pression d’un climat d’urgence permanente…

L’entreprise a un rôle clé à jouer en veillant mieux sur la santé psychologique de ses collaborateurs qui ne veulent plus s’épuiser à la tâche. Ceux-ci se porteront d’autant mieux et seront d’autant plus engagés que la vie dans le travail se déroulera au travers de missions qu’ils ne jugeront plus insignifiantes, qu’ils bénéficieront de conditions adéquates (comme des espaces de travail garantissant autant la concentration et la confidentialité que la convivialité) et qu’ils vivront en pratique les valeurs affichées par l’entreprise, telles que le respect, la confiance, l’empathie…

On y gagnera en prévention des RPS (stress au travail, burn-out), ainsi qu’en réduction des accidents de travail et du si coûteux absentéisme.

 

Un management qui saurait faire comprendre à chacun combien il est utile 

Les managers gagneront à se mobiliser dès la rentrée pour redonner du sens au collectif, du vrai sens : les objectifs qu’ils fixent définissent certes une performance à atteindre mais génèrent par là même une communauté d’objectifs composée de ceux qui y œuvrent par leurs résultats mais aussi de ceux qui y contribuent par leur sens de l’intérêt général.

Cette communauté est-elle célébrée comme il se doit, reconnaît-on à chacun qu’il la sert au mieux ? Donne-t-on à voir la contribution individuelle à l’œuvre commune, en saluant l’utilité de chaque collaborateur vis-à-vis du client final au point qu’il puisse s’en sentir fier ?

 

Cette « revanche » du salarié risque de faire long feu

Temporairement, le salarié peut certes tirer bénéfice de ce quiet quitting puisqu’en se mettant en retrait, il a toute chance de prendre du recul, de récupérer de l’énergie à investir ailleurs et de se protéger de certaines pressions. Mais, à plus long terme, il risque fort d’y perdre :

  • en compétences : son employabilité va progressivement baisser car il aura perdu de la valeur et de l’adaptabilité sur le marché du travail, où il aura d’autant plus de difficulté à « se vendre » qu’il n’aura plus entretenu et encore moins élargi son réseau professionnel ;
  • en estime de soi : du point de vue de la posture comme des résultats limités qui s’ensuivent, il a peu de chance qu’il se sente fier de « lever le pied » pour faire strictement ce pour quoi il est contractuellement payé ;
  • en innovation : il va rester dans sa zone de confort, donc s’enfermer peu à peu dans ce qu’il sait déjà faire et se trouver en décalage avec les entreprises qui, elles, évoluent très rapidement ;
  • en sécurité psychologique : son attitude l’amènera inexorablement à ne plus répondre aux besoins stratégiques de l’entreprise et à se retrouver écarté des cercles de décision.

 

Souhaitons donc que cette démission silencieuse ne soit pas un dard finalement venimeux pour tous mais plutôt un stimulant aiguillon pour redéfinir au plus vite les termes du partenariat entre entreprise assumant sa responsabilité sociale et collaborateur qui, probablement mais à certaines conditions, ne demande qu’à se réengager !

Pour aller plus loin…

enquete de sensEn quête de sens de Cécile de Lisle et Rodolphe Durand, 2022. Editions Dunod.

Trouver du sens dans son travail est plus que jamais vécu comme essentiel. L’entreprise, l’une des organisations humaines les plus capables d’innovation, a un rôle central à jouer face aux enjeux sociaux et environnementaux. Reste à déterminer quels principes peuvent guider l’action des dirigeants d’aujourd’hui… et des dirigeants de demain.

C’est ce que cet ouvrage choral propose de mettre en lumière. Loin d’opposer jeunes idéalistes et hommes d’affaires aguerris, les auteurs offrent un espace de dialogue entre des dirigeants et des étudiants.

 

visible et invisible
Texte extrait de son livre « Sans carte, ni boussole. Il est urgent de diriger autrement », publié en octobre 2021 aux éditions Buchet-Chastel.
Bonnes feuilles : pour favoriser la résilience et l’agilité de l’entreprise, le dirigeant doit s’ouvrir à des dimensions invisibles au niveau individuel (les motifs, élans intérieurs et croyances des collaborateurs) et au niveau collectif (la culture, l’énergie, le niveau de conscience de l’entreprise).