Newsletter 34 – Grande démission ou reconfiguration de l’engagement ?

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Nombreux sont ceux qui ne veulent plus manger de ce pain-là

Depuis le printemps 2021, le marché étatsunien du travail subit les affres du « Big Quit » ou « Great Resignation », alias la « Grande démission » : près de 25 millions de salariés américains (soit plus du double de la mobilité habituelle) ont quitté leur emploi pour un autre ou quitté le marché du travail salarié pour changer de vie.

Certes, en France comme ailleurs, le phénomène touche prioritairement les bas salaires et les emplois à horaires décalés (tels ceux de la restauration), mais pas seulement.

Nul n’avait anticipé cette conséquence du covid-19, à savoir que le travail n’est plus qu’une des briques de l’édifice « mode de vie », globalement remis en cause par les impacts de la pandémie : confinement qui a systématisé le télétravail et donné envie de fuir les mégapoles aux habitat étriqués, coup de projecteur mis sur ceux qui étaient en première ligne mais mal rémunérés et trop peu considérés (grande distribution, services à la personne).

Les entreprises du secteur privé ne le savent que trop bien : c’est la loi de l’offre et de la demande qui fait le marché. À présent cette loi fait aussi le marché de l’emploi et, curieusement, cette vague de démissions massives sert mieux les salariés que bien des classiques revendications syndicales antérieures. Les entreprises sont sommées de renforcer leur pouvoir d’attraction sans quoi, faute de collaborateurs, elles ne pourront honorer leurs carnets de commande remplis par la reprise économique.

 

La contrainte changerait-elle de camp ?

Dans maints secteurs, le nombre d’emplois vacants fait monter les enchères. Il n’est pas seulement question de niveau de salaire mais aussi de conditions de travail : plus de souplesse dans l’emploi pour plus de bonheur dans la vie.

Beaucoup d’Américains ont dénoncé leur travail jugé insupportable et leur management inhumain, célébrant leur démission en direct dans des vidéos postées sur les réseaux sociaux et devenues virales. Tout se passe donc comme si les droits et les devoirs s’étaient inversés. Là où, hier encore, le contrat de travail proposé par l’entreprise imposait au collaborateur la hauteur de sa rémunération, ses horaires et son lieu d’exercice, il arrive aujourd’hui que le collaborateur mette devant le fait accompli de son déménagement théoriquement rendu possible par le télétravail, interpelle sur ce que sa boîte fait en matière de RSE, ou réclame de ne plus travailler le samedi…

Les employeurs désireux d’attirer et de fidéliser leur personnel devront briller par leurs propositions innovantes : prise en charge des frais de déplacement, mise à disposition d’espace de coworking proche du domicile ou des gares, rémunération du travail du samedi comme celui d’un dimanche, etc.

 

Afficher les avantages concurrentiels de travailler ici plutôt qu’ailleurs

Les dirigeants vont donc devoir avec leurs RH trouver les moyens de reprendre la main et réinventer un modèle de collaboration en développant des avantages concurrentiels qui donneront envie aux collaborateurs de (re)venir et de rester :

 

> Optimiser plus que jamais la qualité de vie au travail (QVT).

> Intégrer la nouvelle vision du travail des générations X, Y et Z.

> Redéfinir les raisons et la valeur ajoutée de venir au bureau : convivialité qui ressource, résolution facilitée des problèmes en présentiel, créativité accrue par l’échange collectif en direct, ce qui peut être assorti d’attentions appréciées, comme le petit-déjeuner offert pendant une semaine que pratiquent déjà certaines entreprises !

> Faire s’exprimer les collaborateurs pour explorer le renouveau de leur échelle de valeurs (vie pro/vie privée, développement durable, quête de sens) et de leurs attentes (ce qu’ils veulent et surtout ce qu’ils ne veulent plus du tout) et en inventer des traductions dans le travail du salarié en entreprise.

> Admettre que le collaborateur puisse avoir un projet de vie alternatif à moyen ou long terme et, pour éviter son départ immédiat, répondre à ses besoins particuliers (par ex. temps partiel, disponibilité pour s’engager dans une association, projets d’intrapreneuriat,…)

> Réfléchir à d’autres formes d’emplois pour attirer des collaborateurs intéressés par du mi-temps, du temps partagé, de la sous-traitance…

En envisageant la « Grande démission » comme une reconfiguration de l’engagement des collaborateurs, l’entreprise est mise au défi de réviser son modèle pour conserver ses talents et en attirer de nouveaux. On avait dit qu’après la pandémie, rien ne serait plus pareil, c’est le moment d’en porter la preuve.

Pour aller plus loin…

monde economique

Article de Oliver de Berranger, CIO de La Financière de l’Echiquier, le Monde économique. Magazine suisse des chefs d’entreprises et décideurs, 22 décembre 2021.
Ce phénomène illustre la nouvelle propension des salariés à quitter leur poste pour un autre ou tout simplement quitter le marché du travail. Covid et confinement ont remis en cause le mode de vie de plus d’un Américain.
france24
Article de Sébastien Seibt, France 24, 15 octobre 2021.
Plus de 4,3 millions d’Américains ont démissionné en août 2021 selon le département du Travail américain. Ce phénomène a pris une telle ampleur aux États-Unis qu’il commence à avoir des répercussions visibles sur l’économie du pays.

psychologie de la motivation

« Psychologie de la motivation »

Sous la direction d’Héloïse Lhérété, rédactrice en chef et directrice de la revue Sciences Humaines.

La motivation représente l’une des plus grandes énigmes du comportement humain. Prenant racine dès l’enfance, elle est ce qui pousse à agir quand rien ni personne ne nous y obligent, mais aussi ce qui stimule la volonté au cœur de la difficulté et de l’ennui. Elle peut être suscitée – c’est le désir suprême de tout parent, professeur, manager ou thérapeute.