Newsletter 51 – La lucidité en entreprise : se confronter au réel et lui donner du sens

La lucidité, clé de la gestion stratégique en entreprise

L’entreprise gagnerait à faire sienne la devise d’Hercule Poirot : « La vérité, si terrible soit-elle, a toujours quelque beauté pour celui qui la cherche. »

Dans le cas du fameux détective créé par Agatha Christie, il s’agit bien sûr d’élucider le crime sur lequel il enquête, c’est-à-dire une situation passée.

 

Il semble aller de soi que toute entreprise dispose des outils gestionnaires ad hoc (logiciels de comptabilité, de gestion financière, systèmes ERP…) pour faire au présent le juste bilan de ses actions passées.

Les choses se compliquent quand il s’agit d’être lucide sur les orientations à donner en conséquence, pour répondre de façon optimale non seulement à ce bilan actuel, mais plus largement aux évolutions permanentes du marché, tant en interne que du côté des clients et des fournisseurs.

Même une activité florissante peut imposer des changements organisationnels pas toujours faciles à faire accepter.

A fortiori, en cas de conjoncture défavorable, il est encore plus délicat de transformer le partage collectif de la vérité en une somme de véritables atouts.

Les bénéfices d’une approche lucide et collective

 

Nul n’aime être porteur d’une mauvaise nouvelle.

Or, au départ, c’en est toujours plus ou moins une que d’annoncer aux collaborateurs que demain ne pourra plus se dérouler comme aujourd’hui.

Toute prise de conscience et a fortiori toute injonction à la lucidité peuvent être vécues comme injustes et insécurisantes, voire fallacieuses puisque, par principe, le pire n’est jamais sûr (pourquoi une nième réorganisation quand le secteur d’activité reste porteur).

De plus, le management ne prône-t-il pas sans cesse avec optimisme que le dépassement de soi peut soulever des montagnes ?

Il s’agit de faire valoir les nombreux et incontestables avantages de la lucidité.

L’entreprise est bien dirigée par des responsables qui mettent leur réalisme au service de décisions éclairées et qui savent que leurs collaborateurs sont assez solides pour apprécier leur transparence.

On est capable de renoncer à des idées toutes faites qui n’ont plus cours.

Les défis et les menaces (concurrence, IA, augmentation du prix des matières premières…) qui se présentent à l’entreprise, on y fera d’autant mieux face que leur appréhension lucide permet d’anticiper les risques attenants et de les gérer au mieux.

Dès lors, les mutations organisationnelles peuvent être vécues comme une sage parade au danger et la communication qui l’accompagne comme une preuve d’honnêteté : tous dans le même bateau et chacun mieux adapté à son poste éventuellement redéfini, on fera mieux face à la tempête et, parfaitement prévenus, on accepte qu’elle va secouer !

On en sortira probablement grandis, en ayant gagné en efficacité et donc en performance.

Le leadership des capitaines s’en trouvera renforcé.

Avoir bénéficié de leur proactivité stimule l’engagement de leurs équipes.

Une fois l’épreuve dépassée avec succès, l’entreprise pourra inscrire dans sa culture qu’elle sait gagner à remettre le statu quo en cause, ce qui dynamise l’innovation et la créativité.

 

La première étape vers une résilience efficace

 

Ce n’est évidemment pas toujours aussi simple, car nulle résilience individuelle ou collective n’est possible si on ne commence pas par « recenser les dégâts » pour dresser un lucide état des lieux, pas forcément facile à admettre.

À quoi tient l’actuelle situation déstabilisante et donc insécurisante ?

A-t-on manqué de moyens, d’une bonne stratégie ou bien soi-même a-t-on individuellement manqué de compétences ?

Bien des vérités peuvent être rejetées parce que trop inconfortables.

En outre, le fait que rien ne sera plus jamais pareil est propre à lever les pires résistances au changement.

Le bilan d’où il faudrait partir, on peut l’estimer si déséquilibré entre les défauts à améliorer et les chances d’y parvenir, qu’il aboutit à une perception excessivement dégradée de l’environnement de travail, comme si trop de lucidité tuait soudain la lucidité.

Les collaborateurs se sentent durablement insatisfaits et frustrés, on se défend en cherchant des coupables, des conflits et des tensions peuvent surgir, le stress et la charge mentale s’accentuent.

Si on ne fractionne pas en étapes le marathon des efforts à fournir, l’analyse vissée au réel peut devenir paralysante.

Que l’entreprise développe sa lucidité sans compromettre sa dynamique positive relève alors de l’exploit.

Elle ne peut l’accomplir que si elle veille à faciliter les échanges aux moments les plus cruciaux (réunions d’information, accompagnement des managers, cercles de partage, communication régulière sur les étapes, les ressources, l’avancée…) puis, une fois une nouvelle vitesse de croisière retrouvée, à capitaliser les enseignements en proposant des debriefings aux divers acteurs de la victoire collective.

 

La lucidité comme générateur de sens et de valeur

 

En s’inspirant de la logothérapie de Viktor Frankl (1905-1997), on peut inviter l’entreprise à « faire coup double », si elle profite de sa lucidité pour viser plus loin que son dépassement des obstacles sur le seul plan matériel.

Être lucide face à l’adversité reviendrait à assumer sa totale responsabilité pour user de sa pleine liberté d’y trouver des solutions en prenant les bonnes décisions.

Si ardus soient les défis à relever, ils deviennent alors des opportunités qui consolident l’estime de soi de chacun et la cohésion du collectif, objectif aussi fructueux que le profit strictement économique.

L’entreprise lucide produirait ainsi une valeur ajoutée à long terme dans sa fonction sociétale (en donnant corps à la fameuse « entreprise à mission »).

Par cette lucidité, elle créerait un futur qui a du sens en faisant croître chacun.

Et vous, êtes-vous disposé(e) à une approche lucide d’une situation ponctuellement défavorable ?

Percevez-vous dans le terme même de lucidité ce qu’il doit à son étymologie : luciditas = clarté splendeur, mot dérivant de lux = lumière ?

Envisagez-vous de faire la lumière sur vos épreuves jusqu’à en tirer le bénéfice d’un réalisme qui, loin d’être seulement rabat-joie, augmente aussi votre expérience au point de vous promettre plus de réussite à l’avenir ?

 

Le management des situations de crise : anticiper les risques et gérer les crises, de Laurent Combalbert, 2018, ESF Sciences Humaines.

Dans un environnement toujours plus instable, Laurent Combalbert propose une méthodologie simple à tous ceux qui souhaitent se préparer ou préparer leur entreprise à traverser avec succès des situations dégradées. Comment cartographier les menaces et identifier les signaux précurseurs ? Quelle organisation mettre en place pour gérer le stress des situations d’instabilité sécuriser la prise de décision ? Comment débriefer les situations vécues et capitaliser pour l’avenir ? En s’appuyant sur une expérience de terrain hors du commun, l’auteur illustre chaque étape d’exemples de situations vécues.

Éloge de la lucidité. Se libérer des illusions qui empêchent d’être heureux, de Ilios Kotsou, 2019, Marabout.

La majorité d’entre nous cherche un bonheur idéal, impossible à atteindre. Une vie sans souffrance, des émotions toujours positives, une estime de soi sans faille et un épanouissement personnel constant sont autant de mirages qui nous font perdre de vue l’essentiel : la possibilité d’être heureux malgré les vicissitudes de la vie. Le philosophe Ilios Kotsou nous invite à trouver la lucidité en expliquant avec humour comment une conscience clairvoyante nous ouvre à la tolérance, à la douceur et à une compréhension plus profonde de nos émotions. Pour accepter notre vulnérabilité et trouver une joie durable, celle de la beauté et la valeur réelle de nos vies.