Newsletter 49 – Femmes et marché du travail : quand le prix Nobel nous éclaire !

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Un prix Nobel longtemps sexiste

Après Elinor Ostrom en 2009 puis Esther Duflo en 2019, l’américaine Claudia Goldin est la troisième femme à se voir décerner, en cette année 2023 et à l’âge de 77 ans, le prix Nobel en sciences économiques.

Grâce à ces trois chercheuses, les femmes comptent pour 5,5 % parmi les 54 lauréats couronnés par ce Nobel d’économie créé en 1969.

 

Proportion qui paraîtra moins ridicule si on garde à l’esprit que, sur l’ensemble des prix Nobel, elles ne sont que 4 % !

Les causes sont présentées par l’excellent article de Wikipédia sur le sujet. Pendant longtemps les femmes n’ont tout simplement pas accédé aux études qui leur auraient permis une carrière de haut niveau. Puis les postes à responsabilités leur ont été barrés.

Plus tard, les femmes nobélisables qui travaillaient avec leur mari ont été d’entrée exclues parce que considérées comme de simples assistantes. Si Marie Curie a échappé à ce préjugé, le fait qu’elle remporte deux fois le Nobel n’a pourtant pas suffi à lui ouvrir les portes de l’Académie des Sciences !

Durant la Guerre froide, le comité Nobel a estimé qu’il valait mieux récompenser des hommes comme figures « fortes » à opposer au bloc de l’Est.

De nos jours, il apparaît que les femmes nobélisables ne disposent pas, pour être proposées à l’obtention de ce prix, d’un aussi bon réseau que les hommes qui tendent à se sélectionner entre eux. En 2020, un tiers des femmes distinguées étaient célibataires, divorcées et un quart sans enfants. On retrouve bien des mécanismes que l’on déplore aujourd’hui en entreprise, où les femmes manquent aux postes dirigeants.

Les normes sociales génèrent des croyances limitantes

Le comité Nobel a distingué Claudia Goldin « pour avoir fait progresser notre compréhension de la situation des femmes sur le marché du travail ».

Ses avancées sont dues à sa démarche historique sur le temps long (200 ans d’archives étudiées), qui permet de mieux évaluer l’impact progressif de mutations lentes tels que le progrès technologique, l’amélioration du niveau d’éducation et la diminution de la fécondité.

Elle bat ainsi en brèche certaines idées reçues : non, la participation des femmes au marché du travail ne dépend pas seulement du niveau de développement d’une société. Ainsi, durant le XIXe siècle américain pourtant en plein essor industriel et jusqu’à la Première Guerre mondiale, on trouve de moins en moins de femmes sur le marché du travail parce que des normes sociales stigmatisent celles qui ne restent pas au foyer.

Or celui-ci ne se trouvant plus, comme dans l’ancien monde agraire, sur le même lieu que le travail, on ne crédite pas les femmes de pouvoir combiner responsabilités familiales et professionnelles, jugées incompatibles. Cette croyance limitante a persisté longtemps chez bien des employeurs anglosaxons qui, dans les années 1930, n’embauchaient pas de femmes mariées et licenciaient celles qui se mariaient.

 

Les femmes anticipent mieux leur carrière que naguère

Claudia Goldin met également en évidence « la révolution silencieuse » qui s’est opérée depuis les années 1980, amenant la réduction de l’écart de salaires entre hommes et femmes, qui était important et quasi stable depuis près d’un siècle : les toutes jeunes embauchées projettent davantage de continuer de travailler durant leur trentaine, même si elles comptent entre temps faire des enfants. Grâce à la contraception et en différant la naissance de leur premier enfant, les femmes anticipent mieux le déroulement de leur carrière. Elles s’engagent davantage dans leurs études et leurs métiers, qui ne vise plus à seulement fournir un salaire d’appoint au foyer.

Elle a aussi prouvé que, à diplôme égal, tel un Master of Business Administration (MBA), le salaire des femmes, au départ égal à celui des hommes, « décroche » après leur premier enfant. Il se peut, certes, qu’elles se montrent moins ambitieuses et moins disponibles. Mais les DRH doivent s’interroger sur l’incidence de ces normes sociales décelées par Claudia Goldin.

L’entreprise ne désinvestit-elle pas inconsciemment celle qui rentre d’un congé maternité, en s’abstenant de la solliciter pour une plus grande prise de responsabilités ? Les femmes elles-mêmes osent-elles demander et agir avec la conscience confiante de leur contribution ?

 

Les femmes, un facteur majeur de l’évolution de l’économie moderne

Comme l’ont montré Claudia Goldin et Cecilia Rousse dans un article commun, les femmes souffrent d’une discrimination à l’embauche : les orchestres symphoniques américains se sont largement féminisés depuis qu’ils recrutent à l’aveugle, l’instrumentiste candidat jouant derrière un paravent, ce qui ne gêne en rien l’évaluation de sa compétence. Elles ont mis en évidence que des préjugés, comme la prédisposition des hommes à mieux maîtriser certains instruments, ont pu ainsi être neutralisés.

Claudia Goldin a été la première femme à être titularisée au département d’économie de Harvard, alors que le métier d’économiste reste dominé par les hommes. Sa fameuse « courbe en U » montre que l’emploi des femmes est massif dans les économies de subsistance, puis tend à baisser quand, l’économie se monétarise et se marchandise en reléguant les femmes aux travaux manuels, pour enfin progresser à nouveau quand les femmes éduquées accèdent aux postes des cols blancs.

Selon elle, « il n’est pas exagéré de dire que les femmes ont donné naissance à l’économie du travail moderne, en particulier celle portant sur l’offre de travail. Les économistes ont besoin de variance pour analyser les changements de comportement, et les femmes en sont de grandes pourvoyeuses. »

 

 

Ainsi, l’attribution du prix Nobel en sciences économiques à Claudia Goldin sert de catalyseur pour repenser le rôle des femmes dans le marché du travail et, par extension, dans nos entreprises. Ses recherches dévoilent les constructions sociales qui ont longtemps confiné les femmes à des rôles limités, tout en mettant en lumière l’importance croissante de la planification de carrière chez les femmes depuis les années 1980.

Ce constat invite les entreprises à repenser leurs politiques de ressources humaines, en particulier concernant la maternité et la progression de carrière. En outre, ses travaux rappellent que l’inclusion et la diversité ne sont pas de simples idéaux, mais des impératifs économiques. Le travail de Claudia Goldin constitue un cadre de pensée pour une transformation durable et significative du marché du travail, appelant les entreprises et les femmes à agir pour un avenir plus équitable.

 

Pour aller plus loin…

femmes prix nobelDes femmes prix Nobel. De Marie Curie Aung San Suu Kyi (1903-1991), de Charlotte Kerner et Nicole Casanova, Édition Des Femmes-Antoinette Fouque, 1992.

« Vingt-quatre porte-parole de l’espèce humaine, vingt-quatre femmes, de tous les pays et de tous les horizons, vingt-quatre personnalités exceptionnelles de ces cent-cinquante dernières années », ainsi s’exprime Gidske Anderson au seuil de cet ouvrage qui rassemble des biographies et des analyses précieuses sur ces femmes, acharnées au travail, soucieuses d’un progrès scientifique, esthétique ou éthique, jamais oublieuses de son fondement humaniste. Malgré les différences, d’âge, de caractère, de nationalité, de domaine d’étude, elles ont toutes dû lutter, parfois très durement, pour parvenir à ce point zéro d’où leurs pères, frères et maris partaient naturellement dès leurs premiers pas dans le monde. Un encouragement pour toutes celles qui pourraient parfois se sentir lasses de soulever éternellement le même rocher. Il nous précise, à nous les femmes, l’étendue de nos possibilités.

 

 

femmes au foyerLe monde merveilleux de la femme au foyer, de Jason Hazeley et Joel Morris, traduit par Séverine Weiss, 10/18, 2017.

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Dans cet album illustré, découvrons ensemble une fabuleuse créature inconnue des enfants : la femme au foyer. Sur les pages de gauche, les auteurs nous proposent quelques lignes sur une situation du quotidien des femmes au foyer. Sur celle de droite une illustration vintage, qui rappelle les livres pour enfant des années 1940. En quelques phrases et une image, le résultat est efficace, simple et rapide : on rit beaucoup…