Newsletter 47 – Reprendre le contrôle de sa vie

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reprendre le contrôle de sa vieLe nez dans le guidon ou penché depuis la nacelle d’une montgolfière ?

« Prends un peu de recul ! » figurent parmi les injonctions les plus exaspérantes pour qui est à la fois submergé par le stress et la fatigue, sorte de mélange qui, comme la nitroglycérine, finit par exploser en burn-out.

Qu’est-ce au juste que « prendre du recul » ? C’est échapper à la posture du nez dans le guidon, qui tend à s’installer dès que la charge mentale est trop importante, afin d’adopter celle du voyageur en montgolfière qui peut enfin voir les choses de haut et lâcher prise.

 

Dans le paysage enfin objectivé de nos tâches à accomplir, on est alors en mesure de tout relativiser et repositionner : soi-même dans le réseau de ses interlocuteurs, l’interdépendance de tous les acteurs, les grandes lignes qui priment sur les détails, la hiérarchie pertinente des priorités.

Mais notre époque nous impose la dictature de l’instantané : nous nous faisons devoir de réagir vite, toujours plus vite, et souvent sans boussole pour nous réorienter correctement.

 

Le travail nous distrait de nous-mêmes

 

Ils ne le savent que trop bien, ces créateurs – écrivains, compositeurs, plasticiens, inventeurs… – qui œuvrent en toute solitude alors même que personne n’attend leur production : la première fonction d’une inscription professionnelle n’est pas de gagner sa vie ni de trouver sa place dans la société, mais de se distraire de soi-même.

Beaucoup de travailleurs en ont pris conscience quand la Covid les a confinés et astreints au télétravail : plus de franche démarcation entre contrainte et liberté, plus de dépaysement en se rendant au bureau, plus de stimulation par les échanges informels, plus de machine à café autour de laquelle goûter aux trésors trop longtemps sous-estimés de la convivialité.

Après que le travail nous a déjà distraits de ce que Socrate appelait notre « démon intérieur », veillons-nous assez à nous recentrer sur nous-mêmes, pour prendre ce fameux recul qui permettra, demain, de mieux gérer la surcharge cognitive au boulot ?

 

Se distraire encore plus

 

Au contraire, après le travail et dans le temps que nous laissent les charges domestiques, nous cherchons bien trop souvent à nous distraire encore de nous-mêmes.

Pourtant, n’aurions-nous pas mieux à faire que de nous laisser convoquer par le moindre signal de notre téléphone mobile, de scroller à tour de pouce sur les réseaux sociaux, de consulter la vertigineuse IA générative qui ne cite pas ses sources et raconte parfois n’importe quoi, de scotcher notre attention sur des chaînes d’infos en boucle, des jeux vidéo ou des séries, de nous évader dans le métavers et autres escape games ?

Les jeunes générations, tombés dès leur naissance dans la marmite numérique, ne sauraient se passer de ces nouveaux moyens de détente. Mais osons leur rappeler qu’en cette matière comme en toute chose, c’est la dose qui fait le poison.

Entre un monde du travail où tout s’est accéléré et complexifié et ces nouveaux loisirs chronophages, n’est-ce pas notre propre vie que nous zappons ?

Y a-t-il encore un pilote à bord de nous-même, et ce pilote, est-ce bien soi ?

 

(Re)conquérir la conscience de soi

 

Sans conscience de soi, il devient difficile d’éviter le surmenage et les coûteuses erreurs dans les prises de décision stratégiques, qu’elles soient individuelles et professionnelles.

Elle seule et l’hygiène de vie qu’elle dicte parviennent à endiguer l’érosion de notre capacité d’attention et à fortifier notre tolérance à l’inévitable frustration, qui ne se dépasse qu’au prix de l’effort.

Il s’agit d’interrompre la fuite en avant vers toujours plus de superficialité, comme en témoigne le fait qu’aujourd’hui en entreprise, les experts, qui veulent approfondir avant d’agir, finissent par passer pour de « lents besogneux rigides » !

Pour ce faire, il importe que chacun récupère son temps de cerveau personnel afin d’exercer son libre arbitre et d’agir en conscience large et profonde.

Comment faire ? « Débranche tout, revenons à nous ! », faisait chanter Michel Berger à France Gall en 1984.

Dans le temps privé, il convient de se déconnecter vraiment en rentrant chez soi (95 % des cadres avouent penser toujours à leur travail en soirée), de s’accorder des vrais moments de pause, voire de retraite, qui désintoxiquent des incessantes sollicitations extérieures et permettent ainsi se retrouver. Certains loisirs, comme la marche ou la méditation, permettent mieux que d’autres de faire un vide qui remet ensuite tout à sa juste place.

« Connais-toi toi-même ! », préconisait Socrate. Cela englobe la prise de conscience réflexive de son mode de fonctionnement et l’observation distanciée de ses émotions qui, pour être réellement éprouvées, n’en sont pas moins souvent mensongères et donc à maîtriser et analyser.

Se questionner sur le déroulé machinal de nos réactions démultiplie notre capacité d’apprentissage en tirant de fructueux enseignements des difficultés traversées.

Se connaître, c’est enfin découvrir et valider ses propres valeurs et aspirations, pour ensuite mieux identifier les environnements qui leur seront propices.

 

Une culture de l’urgence pas toujours pertinente

 

Dans le temps professionnel en entreprise, c’est la culture de l’urgence qu’il faut savoir relativiser, en dépit de sa forte pression.

Distinguons bien ce qui est urgent ET important, faisons préciser les délais et négocions-les pour plus de réalisme.

Affirmons qu’il n’est pas possible de continuer à « faire tout bien », alors que la charge ne cesse de croître et qu’on n’a plus le temps matériel nécessaire, car il a été établi que c’est là un ticket-aller direct pour le burn-out, sans garantie de retour.

Osons anticiper dans notre planning des plages « pour soi », adoptons et faisons vivre une politique de gestion du temps respectueuse des personnes et proscrivons l’enchaînement non-stop de réunions, qui empêche non seulement de respirer mais aussi de s’en approprier et en digérer le contenu.

Revendiquons de prendre le temps de définir les vraies priorités auxquelles chacun doit se tenir et d’identifier les habitudes de travail inefficaces.

On en récoltera de l’apaisement et plus d’ouverture d’esprit, de quoi élargir notre vision du monde…

Auquel de ces actes de résistance êtes-vous disposé(e) pour gagner en justesse et en sérénité ? Et redevenir le pilote à bord de vous-même ?

 

Pour aller plus loin…

lapprentissage de limperfectionL’apprentissage de l’imperfection. Ne plus avoir peur d’être soi, de Tahar Ben-Shahar, Pocket, 2021.

Tous les jours, nous nous imposons des objectifs plus difficiles à atteindre. Et plus nos exigences sont élevées, plus nous sommes sous pression, saisis par le doute et la frustration. L’auteur, enseignant et écrivain américano-israélien spécialisé dans le domaine de la psychologie positive et du leadership, nous encourage à nous affranchir de la quête d’une inaccessible perfection. Il nous propose pour cela de nombreux exercices simples et pratiques : des solutions pour nous accomplir en toute liberté, pour être bien… et surtout pas parfait !

 

 

Management et connaissance de soiManagement et connaissance de soi, de Jean-François Kungten, Paris, L’Harmattan, 2022.

La connaissance de soi constitue le fondement même du management. Pour autant, les solutions proposées par le coaching et les formations en management s’avèrent largement illusoires pour répondre à ce besoin. C’est pourquoi, devant l’amoncellement de recommandations en tout genre, il est grand temps de revenir à des choses simples, et non simplistes. Pour ce faire, Jean-François Kuntgen propose une approche originale faisant notamment le lien entre la réflexion philosophique et le management. Il suggère ainsi des pistes…

 

conscience et connaissance de soiConscience et connaissance de soi, de Serge Carfantan, Presses Universitaires de Nancy, 2015.

L’auteur, philosophe et pédagogue de la philosophie, entreprend de nous introduire au cœur d’une pensée restée très vivante depuis des milliers d’années, le Vedânta de l’Inde. Il explore la tradition occidentale de la recherche de la connaissance de soi qui va du célèbre « Connais-toi toi-même » de Socrate, au Journal intime d’Amiel, en passant par les Essais de Montaigne. Le fil conducteur de la connaissance de soi est suivi dans ses prolongements les plus connus et mêmes communs de notre culture. Mais à chaque détour se dessinent des paradoxes qui transcendent la seule problématique « occidentale » de la connaissance de soi et qui nous reconduisent à de très anciennes interrogations de l’Inde.