Newsletter 61 – Souffrons-nous du trouble de l’attention à l’autre ?

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Nos écrans nous connectent, mais nous éloignent aussi des autres, au travail comme dans la vie personnelle. En entreprise, mails et notifications prennent le pas sur l’écoute et l’échange direct. Sommes-nous en train de perdre notre attention à l’autre, au détriment de nos relations et de notre efficacité ?

Nos villes peuplées de passants automates

Est-ce qu’autrui est notre semblable ou un alien faisant incursion dans notre espace vital ?

On peut se poser la question depuis que les écrans ont envahi nos vies. On sait ce que l’on doit à la révolution numérique : l’ordinateur qui a tant optimisé nos tâches, l’internet qui a prodigieusement ouvert notre horizon, le téléphone mobile qui nous permet de rester en contact avec la cellule longtemps sédentaire de nos proches tout en devenant nomades.

Mais les réseaux sociaux ont rajouté un drôle d’étage à cet édifice, nous captivant tellement que nous devenons captifs.

Nous croisons dans les rues de nos villes trop d’automates en train de scroller comme s’ils étaient seuls au monde.

Cette déconnexion progressive des interactions humaines se traduit également dans le monde du travail : réunions silencieuses où chacun consulte discrètement son écran, échanges de courriels qui remplacent les discussions en face-à-face, collègues absorbés par leurs notifications plutôt que par leurs interlocuteurs.

C’est ce que dénonce le psychiatre Christophe André en proposant un nouveau concept qui interpelle : le trouble de l’attention à l’autre.

On est évidemment bien loin du vrai trouble de l’attention (TDHA), pathologie que subissent ceux qui sont incapables de se concentrer parce que leur cerveau zappe sans cesse, les privant de nos modes de sociabilité communs et compliquant gravement leurs apprentissages.

Pour autant, ne sommes-nous pas tous plus ou moins enclins à privilégier les contacts virtuels que nous fournissent nos écrans plutôt que ceux qui se proposent par leur présence bien réelle ?

 

L’écran nous rend indisponibles

Un conte zen raconte que, devant son disciple qui le suppliait de lui transmettre sa connaissance, le maître a rempli une tasse de thé jusqu’à la faire déborder et comme le jeune s’en alarmait, lui a simplement dit : comment remplir ce qui n’est pas vide ?

Autrement dit : fais de la place à l’autre, cette place qu’on appelle disponibilité.

Restons-nous vraiment disponibles aux vivants qui nous entourent, notamment dans notre sphère professionnelle ?

Mieux vaudrait laisser son smartphone dans son bureau quand on se rend à la machine à café pour que ce lieu continue de favoriser des moments de convivialité informelle.

De même durant ces réunions qu’on dit trop chronophages et qu’on voudrait le plus efficaces possible : n’est-il pas dommageable d’y consulter nos écrans à la dérobée, puisque ce moment de distraction peut nous faire perdre en pertinence et en acuité dans nos interventions ?

Chacun sait dans l’entreprise la valeur de l’écoute active, par laquelle on se focalise sur son interlocuteur de façon à tout percevoir de son message, le verbal comme l’éloquent non verbal.

Le Projet Aristote, mené par Google en 2012, a révélé que la sécurité psychologique – où chaque membre se sent en confiance pour s’exprimer sans crainte de jugement – est l’un des piliers essentiels d’une équipe performante. Cette sécurité repose sur l’écoute active et l’attention portée aux autres, des compétences fondamentales pour instaurer un climat de confiance et favoriser des échanges ouverts et productifs.

En entreprise, négliger cette attention, c’est risquer de compromettre la qualité de la communication et, par extension, l’efficacité collective.

 

Ne pas se couper ni du réel ni de soi-même

Selon Christophe André, notre actuelle addiction aux écrans atténue notre qualité de présence non seulement à l’autre mais aussi, plus globalement, au réel : par exemple, comme il est commode, lors d’un conflit qu’il faudrait régler sur le champ, de s’évader en replongeant dans son écran !

Plus grave encore : le temps passé sur nos écrans est pour une part celui qui devrait être consacré à notre introspection.

Si nous ne sommes plus à l’écoute de nous-mêmes, comment prendre conscience de là où nous en sommes en élaborant une compréhension fine de ce qui nous arrive ?

Si nous n’y veillons pas, nous deviendrons comme nos adolescents, pour qui leur téléphone semble faire partie intégrante de leur propre corps dont ils ne peuvent supporter qu’on les mutile…

 

Un fléau à combattre

Nos écrans ne sont au fond que des domestiques à notre service et il n’est pas question qu’ils prennent le pouvoir dans notre château existentiel. On peut leur faire dire que « Madame ou Monsieur est sorti(e) » dès qu’on estime que l’échange qui se propose en présentiel est prioritaire.

Que ce soit avec nos supérieurs hiérarchiques, nos pairs ou nos collaborateurs, l’attention à l’autre, pas forcément coûteuse ni en temps ni en énergie, est un investissement au retour toujours positif.

Certaines entreprises intègrent désormais le « droit à la déconnexion » dans leur culture : interdiction des e-mails après une certaine heure, encouragement aux discussions en face-à-face, ou encore journées « sans écran » pour revaloriser les interactions humaines.

 

Et vous ? Où en êtes-vous de votre disponibilité ? Votre présence à l’autre est-elle devenue machinale ou bien en percevez-vous toute l’importance tant pour honorer votre interlocuteur que pour valoriser votre qualité de communication ?

 

 

 

Pour aller plus loin…

sestimer et soublierS’estimer et s’oublier, de Christophe André, 2024, Odile Jacob, 400 p.

 

Selon l’auteur, l’estime de soi sert aussi et surtout à s’ouvrir aux autres et au monde.

« L’estime de soi, c’est comment on se voit, comment on se juge, mais aussi et surtout, comment on se traite. Voici donc la suite de ces aventures de l’estime de soi : je voudrais y montrer comment l’estime de soi doit devenir une sorte de respiration de notre esprit. Une respiration, c’est-à-dire une dimension spontanée, naturelle, vivifiante. Et à laquelle on ne songe pas sans cesse. Quelque chose qui est là pour nous aider à vivre, mais sur quoi on ne doit pas avoir à se focaliser. Simplement, y revenir de temps en temps, avant de retourner vers plus intéressant encore que nous-même : le monde, les autres, la vie. »

 

La-Methode-pour-se-liberer-des-ecransLa méthode simple pour se libérer des écrans, de Allen Carr avec John Dicey, 2024, Pocket, 272 pages.

 

Arrivez-vous à ne pas consulter votre smartphone une heure entière ?

L’adulte moyen passe dix heures par jour à regarder des écrans. Cela peut poser de sérieux risques pour la santé, notamment l’obésité, la fatigue oculaire et les perturbations du sommeil. Les appareils numériques remodèlent notre cerveau et nous transforment en personnes dépendantes.

La Méthode simple pour se libérer des écrans n’est pas une campagne contre la technologie numérique ; son objectif est plutôt de vous aider à reprendre le contrôle de votre vie. En expliquant la nature du piège numérique, il va dévoiler les illusions qui vous rendent vulnérables aux pensées et comportements négatifs. Ainsi, vous pourrez profiter des avantages de la technologie moderne sans tomber dans l’obsession.