Newsletter 13 – Le virus et l’introverti

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Le virus et l’introverti

Quand j’ai vu mon patron la dernière fois, il me disait : « Rentre chez toi, tu es désormais en télétravail ; nous sommes tous confinés. Mais ça ne devrait pas être trop difficile pour toi qui es un introverti déclaré et assumé. Pense à moi qui suis au contraire un extraverti qui ne peux rester seul, sans parler à personne, plus d’une heure ! ».

Et c’est vrai que mon premier sentiment fut plutôt celui de satisfaction. Echapper enfin à ces bavardages superficiels du matin et des pauses, à ces réunions où d’autres répondent avant que je n’ai pu réfléchir sérieusement à la question posée, à ces sollicitations incessantes que permet l’open-space et qui réjouissent une partie de mes collègues, à ces team-building, ces brainstorming, ces méthodes « agiles », ces victoires rapides, ces stimulations positives, bref à ce monde du travail où l’action est privilégiée à la réflexion, et peut, faute de contenu suffisant, sembler relever parfois davantage de l’agitation.
Cette perspective de pouvoir travailler tranquillement, sérieusement, en silence, sur mes dossiers, au moment que je choisis, de m’arrêter quand je veux pour méditer, lire, ou marcher lentement dans les rues désertes proches de chez moi, bonne autorisation en poche, me ravissait plutôt.

Fini le stress du bruit, du superficiel, des remarques sans grande utilité, de l’expression d’enthousiasme ou de plaisirs incompréhensibles de mes collègues et patron. Enfin une occasion d’aller au fond des sujets, d’y réfléchir dans toutes leurs dimensions, de faire des propositions étayées et approfondies.

Enfin l’occasion d’être apprécié pour la qualité de mes propositions plus que par la rapidité de la réponse, de ne pas être défavorisé par mon comportement réfléchi qui est pris pour de la réserve et qui ne m’a pas aidé dans le système de promotions de l’entreprise, comme dans bien des entretiens de recrutement. Comme si les introvertis, la moitié de la population tout de même, avaient du mal à être appréciés à leur juste valeur dans l’entreprise d’aujourd’hui, où le marketing de soi, le relationnel, la facilité d’expression et l’aisance en public sont exigés.
Le virus et le télétravail nous permettront-ils de reprendre notre juste place, à nous qui réfléchissons avant de parler, peut-être parce que nous n’aimons pas tant parler que ça, à nous qui préférons écouter pour comprendre plutôt que pour répondre, analyser avant de dynamiser, convaincre et rassurer plutôt qu’enthousiasmer.

Les jours passent, je peux assouvir mon besoin de lecture. Un retour à « La Peste » de Camus était incontournable, qui y parle de chaleur humaine, de sympathie, de proximité. Et soudain au fond de moi l’envie de revoir assez vite mes amis, mes collègues, mon patron même, et leur légèreté, leurs plaisanteries faciles voire douteuses, leur sourire, leur humanité.

Je me demande ce que pense, en ce moment, Marc, le collègue le plus extraverti que je connaisse.

 

Pour aller plus loin…

« La force des discrets », Susan Cain, 2013 – Editions Lattes

Notre société valorise de plus en plus les caractères extravertis : pour réussir, il est bon d’être sociable, charismatique et de savoir travailler en équipe. À l’inverse, le discret, qu’il soit collègue de bureau, chef d’entreprise ou dirigeant politique, est souvent moins apprécié et ne semble pas adapté aux défis actuels. C’est à cette discrimination, dont elle fut elle-même victime, que s’attaque ici Susan Cain. Son propos, qui s’appuie sur des études menées dans différentes disciplines et des exemples célèbres (Chopin, Darwin, Gandhi, Gates, Wozniac…), démontre les qualités – aussi précieuses que méconnues -, des introvertis : force de concentration, capacité d’analyse, sens de l’écoute, créativité, etc. Fort de son expérience et de ses consultations en entreprises, l’auteur offre également des outils (conseils, techniques) efficaces pour aider adultes et enfants, à mettre à profit leur personnalité.