Newsletter 58 – Management des talents : faire beaucoup avec moins de ressources, comme l’Arte povera

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Pinault Collection présente à la Bourse de Commerce de Paris, jusqu’au 20 janvier 2025, une exposition autour de l’Arte povera (« l’Art pauvre »), cette mouvance artistique italienne qui se démarqua, dans les années 1960, des autres courants contemporains. Elle imposait l’œuvre non plus comme un produit élitiste et mercantile, mais comme un processus ancré dans la vie quotidienne, celui du geste porté sur des matériaux primaires, voire triviaux, pour interpeller l’émotion et la réflexion du spectateur. Cet éloge d’une simplicité qui mène à l’essentiel peut inspirer aujourd’hui de nouvelles façons de mettre en place des stratégies de gestion des talents, favorisant une culture d’entreprise orientée vers la créativité et la résilience.

La limite comme tremplin

Quand le génial musicien Paganini (1782-1849) fut brièvement emprisonné, on retira trois cordes à son violon pour qu’il ne puisse pas se pendre dans sa cellule : le virtuose en profita pour composer des œuvres pour une seule corde !

Les créateurs connaissent bien l’adage oriental selon lequel c’est dans la limite que le maître se révèle.

En entreprise comme dans l’Arte povera, la contrainte volontaire peut s’avérer fertile. Si paradoxal que cela puisse paraître, l’économie de moyens suscite parfois de riches résultats. Offrir aux collaborateurs une part de temps libre mais restreint stimule leur prise d’initiatives personnelles.

La limitation des moyens à disposition peut libérer la créativité. Si la politique des « 20 % time » que Google a longtemps accordé à ses ingénieurs est aujourd’hui remise en cause, elle a précédemment débouché sur des innovations-phares, telles Google Earth, AdSense et Gmail, que leur temps de travail ciblé n’avait pas générées.

 

Les résilients savent tirer force de leur fragilité

L’Arte povera a innové en osant recourir à des matériaux fragiles et éphémères.

L’entreprise peut elle aussi renouveler son regard sur la détection des talents en s’intéressant aux personnalités non conventionnelles car le fait que celles-ci ont fait l’expérience de la marginalisation et y ont survécu les rend plus endurantes face aux crises et à l’incertitude.

L’épidémie du Covid 19 a ainsi pu révéler des profils jusqu’alors discrets. La disposition à la résilience est donc un critère que les RH gagneraient à prendre en compte.

On connaît le fameux cas du chimiste Spencer Silver qui, en 1964, échoue dans sa tentative de concevoir une nouvelle colle, son expérience se concluant par un produit qui n’adhère qu’à lui-même au lieu de souder des éléments entre eux, à quoi bon ? Il dépasse son bilan initial pour s’apercevoir qu’il a inventé une colle permettant de repositionner à l’infini son support, ce qui aboutit en 1980 à la commercialisation universelle du Post-it par 3M.

De même, en 1840, Charles Goodyear jette par la fenêtre le morceau de latex couvert de soufre qu’il a enflammé par maladresse en le posant sur un poêle. En réexaminant le lendemain le déchet qu’il découvre extrêmement élastique, il initie la vulcanisation, le procédé de fabrication du caoutchouc. De l’art de revisiter ses échecs

 

Conjuguer responsabilité et autonomie pour plus d’engagement

Les précurseurs de l’Arte povera avaient osé s’affranchir des carcans académiques.

En assouplissant les garde-fous de son cadre et de sa culture, l’entreprise peut octroyer une part d’autonomie qui responsabilise.

Le collaborateur s’investit d’autant plus qu’il a le sentiment de devenir l’architecte de son propre projet, ce qui n’empêche en rien son bon alignement aux objectifs stratégiques et sa contribution à l’organisation.

C’est en favorisant la mise en place d’équipes réduites que Spotify a développé leur agilité pour concevoir de nouvelles applications. De même Airbnb, en mal d’investisseurs, a transgressé les usages en misant sur la participation de loueurs non professionnels, une option incongrue dont sa réussite a confirmé la pertinence.

 

Pour une simplicité au service de la complexité

Avec l’Arte povera, un processus simple avec des matériaux ordinaires débouche sur un contenu pourtant profond et sophistiqué.

Ce fut la stratégie d’Ikéa quand elle s’orienta sur la fabrication de meubles avec des matériaux bon marché en même temps que capables de résister à l’épreuve du temps.

L’organisation de l’entreprise a beau être complexe, elle peut, elle aussi, s’efforcer à plus de simplicité.

En réduisant les niveaux hiérarchiques et en allégeant ses processus bureaucratiques, elle rend chacun plus agile et possiblement plus ingénieux.

Chaque entreprise subit des règles inutiles à supprimer, des circuits d’approbation à raccourcir, des réunions à supprimer, des envois de mails superfétatoires à annuler, etc.

Se placer résolument dans la perspective du client ramène aussi à l’essentiel. Simplifier les procédures internes aide l’innovation à s’épanouir, sans pour autant sacrifier les complexités à ménager, celle des idées et des interactions humaines.

 

Et vous ? Envisagez-vous de pouvoir faire beaucoup à partir de peu ? Vous arrive-t-il de sentir des pistes inexplorées et osez-vous les partager ? Si on vous en donne la possibilité, usez-vous de toute votre marge d’initiative personnelle ? Quand vos résultats ne sont pas au rendez-vous, les reconsidérez-vous avec résilience pour vérifier qu’ils ne cachent pas quelque pépite à exploiter autrement ?

 

Pour aller plus loin…

arte poveraArte povera à la Bourse du Commerce, hors-série du magazine Beaux-Arts, octobre 2024, 60 pages.

L’Arte Povera est un mouvement intellectuel artistique radical qui dénonce l’américanisation du monde et s’oppose aux propositions formalistes des grands courants américains de l’époque : Pop Art, Op Art… Refusant les maniérismes d’une société vouée à la consommation, il privilégie l’instinct, le naturel et l’éphémère. Il est également caractérisé notamment par la pauvreté et la simplicité de ses matériaux (pierre, végétaux, etc.) et des techniques utilisées.

En détournant les codes de l’art figuratif classique, l’Arte povera affirme l’importance du geste créateur plus que de l’objet fini, raison pour laquelle les œuvres échappent aux collectionneurs et à l’industrie culturelle des années 1960. L’utilisation de matériaux éphémères éloigne de fait les œuvres des salles de vente et plus généralement du marché de l’art classique.

intelligence collectiveL’intelligence collective au cœur de la créativité. Orchestrer le développement des talents individuels et expérimenter au sein des communautés d’innovation, de Fanny Simon, 2022, Ems Management et Sociétés, 252 p.

Les entreprises développent de façon croissante des dispositifs organisationnels afin d’accroître la créativité de leurs salariés. Mais la dynamique des équipes et la reconnaissance des personnes créatives, sont parfois négligées. Or ces équipes créatives ont un mode de fonctionnement propre. Ainsi, les pratiques de gestion des ressources humaines doivent être renouvelées afin de parvenir à détecter les talents créatifs et permettre leur développement.

La première partie de cet ouvrage vise à aider les responsables des ressources humaines, animateurs d’équipes ou gestionnaires de projet d’innovation à mettre en place une culture favorable à la créativité. La deuxième partie de cet ouvrage a pour objectif de fournir aux manageurs des outils et exemples de pratiques afin de laisser s’exprimer la créativité des équipes tout en veillant à l’inscription des idées nouvelles dans la stratégie de l’entreprise.