Newsletter 65 – L’équilibre discret du désapprentissage : entre remise en cause des savoirs et stabilité intérieure
Notre cerveau humain ne fonctionne certes pas comme un immense disque dur où nous pourrions empiler à l’infini des sommes de connaissances. Pour progresser, nous sommes obligés de réorganiser notre stock d’acquis, d’y faire de la place en triant ce qui peut être jeté : vieilles certitudes et préjugés, anciens savoirs périmés et pratiques révolues, toutes choses qui, en gênant l’évolution de notre système de représentation, peuvent compromettre l’approche pertinente de notre environnement présent.
Un bagage qui nous constitue mais finit par nous bloquer
Pablo Picasso avait un père professeur de peinture et fut admis très jeune aux Beaux-Arts de Madrid. C’est pourquoi, expliqua-t-il plus tard, il dut « travailler à désapprendre » pour se libérer de l’académisme et se hasarder enfin hors des sentiers battus avec le génie qu’on sait.
Chacun de nous finit tôt ou tard par être embarrassé par ce qu’il s’est pourtant efforcé d’apprendre au prix de tant d’efforts. Car ce volumineux bagage risque de nous encombrer au moment de franchir certains seuils étroits mais décisifs. Il est alors temps de se délester.
À titre individuel, c’est ce que fait l’ingénieur, quand devenu manager, il délègue le facteur technique à divers experts pour désormais investir dans le facteur humain, autrement plus flou mais crucial pour dynamiser son équipe. Il doit désapprendre sa précédente posture de spécialiste pour adopter celle de généraliste.
De même, c’est ce que fait le responsable RH qui doit adapter ses pratiques aux nouveaux enjeux de qualité de vie au travail et de télétravail en désapprenant que le bien-être n’est plus un simple « bonus RH » mais un levier de performance et de rétention.
Au niveau de l’entreprise, c’est ce qu’a entrepris le groupe Michelin, en réorientant une partie de son activité historique. D’ici à 2030, l’entreprise prévoit que près d’un tiers de son chiffre d’affaires proviendra d’activités hors pneumatiques.
Ce repositionnement suppose de désapprendre une culture centrée sur l’expertise technique interne, historiquement fermée, au profit d’une logique d’open innovation, plus perméable aux logiques partenariales, aux écosystèmes agiles et aux secteurs périphériques comme la santé ou l’impression 3D (source : Françoise Sigot, Les Échos, 20 juin 2022).
Mais vider ses placards mentaux pour y faire de la place où accueillir du neuf n’est pas si simple… Que faut-il révoquer et que convient-il de garder à tout prix ?