Newsletter 26 – Le leadership authentique : une nouvelle injonction ?

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Un leader plus efficace parce que plus humain
Voilà une quinzaine d’années que se diffuse dans les entreprises la notion de « leadership authentique », apparue sous la plume de Bill George¹ professant à la Harvard Business School. Quoi de plus séduisant à priori que demander à l’ancien « leader héroïque » de fendre son armure de manager si habité par sa vision qu’il sait toujours où il mène ses équipes, si bardé de certitudes qu’il rassure ses collaborateurs, si prompt à décider qu’il galvanise le collectif ? Le « leader authentique », délesté de sa soi-disant vision, sait fixer le cap avec optimisme tout en se confrontant lucidement à la réalité. Il a l’humilité de faire part de ses doutes et n’hésite pas à s’appuyer sur les autres, conseillers ou mentor. Surtout « il parle vrai », car il travaille sur lui-même pour prendre conscience de ses vulnérabilités, et aboutit ainsi à la meilleure cohérence possible entre ses valeurs et sa pratique. Enfin sa constance d’humeur atteste qu’il a su équilibrer vie professionnelle et privée. Bill George a donné de convaincants exemples de grands dirigeants qui ont ainsi mené leurs entreprises au succès, même en pleine crise économique.

Une invitation dévoyée en injonction ?
On comprend donc l’engouement actuel des RH pour cette réorientation de la conduite managériale. On peut toutefois se demander si cet engouement n’a pas des effets pervers. Comment évalue-t-on le degré d’authenticité d’un leader ? Quand on demande à tel manager de détailler quelles sont ce qu’on appelle désormais ses « intentions managériales », comment être assurés de la validité de son discours, qui peut aussi bien être la simple récitation du « manuel du parfait leader authentique » produite pour répondre à cette désirabilité sociale du dernier cri ? Et à l’inverse, au nom de quoi disqualifier tel autre qui, bien qu’expert à piloter l’action collective bien concertée, n’a pas forcément l’adresse de savoir mettre en mots sa démarche introspective ? D’ailleurs, l’exploration de celle-ci n’a-t-elle pas un côté abusivement intrusif dans la sphère de l’intime ?

L’entreprise joue-t-elle vraiment le jeu du leader qu’elle veut authentique ?
Plus graves encore peuvent être les conséquences pour le leader en marche vers plus d’authenticité si l’entreprise ne joue pas le jeu. Car les progrès de celui-ci ne sauraient exonérer l’organisation de progresser de son côté pour en assumer les effets, qui peuvent au départ déstabiliser l’entourage. Le temps long est nécessaire à l’accomplissement d’un tel processus, les gènes du leadership authentique ne figurant dans aucun ADN. Les doutes du manager – à l’expression desquels on appelle tant – seront-ils vraiment bien reçus où se heurteront-ils à la brutale perte de confiance de ses collaborateurs croyant qu’il ne sait plus où il va, ni quoi décider ? Son « parler vrai » sera-t-il vraiment accepté ? Le respect de ses propres principes éthiques sera-t-il toujours bien accueilli, compte tenu de la performance attendue ? Bref, le contexte fourni au leader authentique est-il toujours aussi bienveillant que cela ? Pour le manager, il n’est pas si facile de s’exposer toujours plus – intériorité comprise –, en faisant fi des anciens rôles pourtant bien ancrés dans la mentalité environnante. Si sa transformation est mal accompagnée et donc mal reçue, ne risque-t-il pas de servir alors de « bouc émissaire » ?
Gardons-nous donc de trop exiger un « devoir d’authenticité » aux managers et gare aux raccourcis qui peuvent s’ensuivre. L’étymologie même du mot « authentique » qualifie ce qui légitime le pouvoir exercé par un individu ou un acte juridique. Un pouvoir que le manager assume de toute façon. À charge pour nous tous, DRH, Managers, consultants, d’éviter de transformer cette louable intention en nouvelle pression normative !

¹ Bill George, Peter Sims, Andrew N. McLean et Diana Mayer (2007). « Discovering Your Authentic Leadership », Harvard Business Review, 85(2), pp. 129-138.

Pour aller plus loin…

 » Le pouvoir de l’authenticité – Devenez un leader sincère  »
Harvard Business Review Avril-mai 2020

Quel est le pouvoir de la vulnérabilité, lorsque l’on est dirigeant ? C’est l’objet du dossier de ce numéro. Un dossier consacré au leadership, un leadership authentique et sincère, comme le prônait Clayton Christensen, à qui Harvard Business Review France rend hommage dans cette édition. Vous découvrirez notamment un article de ce grand penseur, traduit pour la première fois, dans lequel il se demandait pourquoi autant de cadres ratent leur vie personnelle en voulant réussir leur vie professionnelle. Pourquoi, en effet…