Newsletter 7 – Apprendre ou disparaître
Le défi paradoxal des entreprises « apprenantes »
L’homme est condamné à apprendre.
L’homme doté de ses seuls instincts et bagage génétique ne survit pas. Il est condamné à apprendre afin de s’adapter à son environnement comme de nombreux animaux évolués. Comme quelques animaux, ce qu’il a appris lui sert aussi à modifier son environnement à son avantage. Mais, seul parmi les autres êtres vivants, il le modifie sans cesse, toujours davantage, toujours plus vite. Et pour s’adapter à ces modifications considérables et de plus en plus rapides, il lui faut impérativement apprendre, c’est-à-dire acquérir des connaissances et du savoir-faire.
Mais que doit-il apprendre ?
La quantité de connaissances à maîtriser pour appréhender la complexité croissante de son environnement est devenue sans commune mesure avec les capacités humaines d’apprentissage, stables et limitées. L’accès aisé aux connaissances externalisées sur des supports numériques lui permet encore de croire qu’il maîtrise l’évolution de son environnement. Mais d’une part, les progrès de la connaissance dévoilent sans cesse l’ampleur de ce qui n’est pas connu, et d’autre part, accéder à une connaissance numérisée n’est pas forcément « savoir ». Que faut-il donc apprendre, pour pouvoir « persévérer dans son être » (Spinoza, L’Ethique III), protéger et conserver son humanité, physique, psychique, spirituelle ?
- Il nous faut maîtriser l’accès aux connaissances stockées disponibles et les comprendre, c’est-à-dire saisir le sens de ce qu’on apprend.
- Il nous faut acquérir les connaissances qui nous permettent de comprendre le monde, les autres et soi-même et d’en maîtriser les interactions.
- Pour cela, il nous faut savoir « penser » et connaître les règles morales qui président à ces savoirs et à cette pensée. Il nous faut donc enfin le savoir nécessaire à exercer notre « conscience de soi » et notre « conscience morale ».
L’obsolescence des savoirs exigera autant d’opiniâtreté que de souplesse.
Certains de ces savoirs, les plus fondamentaux (moraux, psychologiques, comportementaux, relationnels, spirituels), sont relativement stables dans le temps, à défaut d’être immuables. D’autres deviennent périmés de plus en plus vite, et sont cependant nécessaires, le temps de leur validité. Comment savoir si ce qu’on décide d’apprendre sera encore utile lorsque nous le maitriserons ? D’ores et déjà, est-ce plus utile d’apprendre à coder des logiciels ou d’étudier la psychologie ? Répondrons-nous demain ce qu’on répondait hier ? Sans doute pas, mais l’erreur réelle sera moins de se tromper temporairement de domaine d’études que de renoncer à investir du temps dans l’apprentissage. Le savoir apprendre et le goût d’apprendre sont devenus cruciaux.
L’accélération de l’obsolescence fragilise les décisions d’orientation et donc impose de la souplesse dans la faculté d’apprendre, il induit de plus la nécessité d’apprendre toute sa vie.
Aucun niveau de connaissance ne dispensera de devoir continuer à s’adapter. La séniorité ne sera peut-être pas un handicap majeur en matière de compréhension globale et de savoirs fondamentaux. Elle risque fort de l’être pour les autres savoirs à forte composante évolutive. La moindre capacité d’apprentissage devra être compensée par une volonté soutenue des acteurs et une solidarité sans faille de la société. Celle-ci devra développer et encourager l’amour permanent de la connaissance et du savoir.
Dans ce contexte, l’entreprise « apprenante » trouve tout son sens.
L’entreprise a ceci de particulier dans nos sociétés libérales que pour « persévérer dans son être », il lui faut non seulement s’adapter à son environnement, mais le faire plus vite et mieux que ses concurrents, puisque c’est sa seule justification. Il lui est donc impératif d’actualiser et d’accroître sans cesse ses ressources de connaissances disponibles. Comment doit-elle apprendre ? Doit-elle acquérir à l’extérieur les savoirs nécessaires, recruter sans cesse de nouveaux experts, et donc se séparer de ses propres employés, de plus en plus rapidement obsolètes ? Doit-elle considérer qu’elle possède en son sein les capacités d’apprendre ce qui lui est nécessaire, et dès lors favoriser et canaliser toutes les énergies internes à l’accroissement des connaissances, à la formation, à la recherche, à l’innovation ?
On pressent que la voie mixte présente les avantages de ces entreprise « apprenantes » :
- Qui développent en interne les sources d’innovation en incitant individuellement et collectivement les salariés à l’imagination, à la création, à la pensée, à l’initiative, à l’expérimentation. C’est un mode d’intégration et de constitution d’un esprit d’entreprise et sens du collectif incomparable, s’il n’est pas contrarié par des relations sociales ou hiérarchiques inadaptées.
- Qui permettent l’injection d’idées et connaissances nouvelles par des recrutements mesurés de compétences externes, aux profils divers. On peut ainsi enrichir, stimuler la production interne de connaissances, si ces nouveaux entrants s’intègrent harmonieusement dans la culture et l’esprit du collectif en place.
Le défi paradoxal des DRH de ces entreprises « apprenantes » est désormais de permettre à l’entreprise de survivre dans la compétition, grâce à l’envie de ses collaborateurs de s’impliquer dans la coopération.
Le « modèle finlandais » : un système éducatif qui mise avec succès sur l’expérience et l’intelligence collective
Engagées dans l’innovation et les nouvelles technologies, les entreprises finlandaises bénéficient des résultats d’un système éducatif qui encourage depuis des décennies une forme d’apprentissage basée sur l’expérimentation et l’accompagnement individuel. Avec pour résultat une grande faculté d’adaptation au changement et une ouverture d’esprit assez unique en Europe, qui favorise le travail d’équipe.
Parisien d’origine, Jérôme a terminé ses études d’ingénieur à Helsinki avant de rejoindre une start-up finlandaise spécialisée dans la data-analyse et le marketing digital. Après cinq ans passés dans l’entreprise, dans le centre du pays, il a accepté de prendre la direction de la toute nouvelle filiale française. D’abord heureux de retrouver sa famille et ses amis et de faire connaître la « vie parisienne » à sa fiancée finlandaise, il s’est rendu compte qu’il se sentait aujourd’hui totalement en décalage. « En Finlande, ce qui est frappant, c’est la grande différence de perception par rapport à tout ce qui est nouveau. Il n’y a pas de rejet à priori. On teste, on voit si une innovation est intéressante, et si oui, on fait l’effort de s’adapter. Quel que soit son âge ou son métier. On sent que c’est clairement une des incidences du système éducatif finlandais, qui prône l’ouverture d’esprit tout au long de la scolarité, l’expérimentation personnelle, ainsi qu’une grande bienveillance… Du coup, plus tard en entreprise, le travail d’équipe est facilité, plus fluide, plus efficace ».
Une analyse confirmée par Anita Lehikoinen, ancienne secrétaire d’État à l’Éducation : « Chaque Finlandais a conscience que l’éducation est un élément-clé de notre indépendance. L’école n’est pas un sujet de clivage chez nous, mais de rassemblement ».
Pas de notes et des redoublements rarissimes
Ce système éducatif auquel Jérôme fait référence est l’héritage d’une réforme de grande ampleur, entamée en 1968, qui a littéralement révolutionné la perception de l’enseignement tel qu’on le pratiquait un peu partout en Europe. Entièrement tournée vers l’ouverture d’esprit, la confiance en soi, le temps accordé à chacun en fonction de ses besoins, l’expérience individuelle… Elle a instauré de nouveaux principes, tels que :
L’école, prise en charge à 100% par l’Etat, ne commence qu’à l’âge de 7 ans :
- Pendant les 6 premières années de leur scolarité, les élèves ne sont pas évalués par un système de notation quel qu’il soit et les redoublements sont rarissimes ;
- Les enfants en difficulté peuvent recevoir une aide personnalisée quasi-permanente si besoin, jusqu’à l’équivalent de notre lycée (un tiers des élèves en moyenne en bénéficient) ;
- Le seul examen est passé à l’âge de 16 ans ;
- L’enseignement est tourné vers les travaux pratiques et l’expérimentation, notamment en sciences, avec des classes réduites à 16 élèves maximum ;
- L’apprentissage se fait de façon ludique le plus souvent possible ;
- Le salaire moyen des enseignants est l’un des plus élevés au monde.
5ème au classement mondial PISA
Apprendre et mémoriser une somme d’informations reste important mais n’est donc pas considéré comme la clé de l’enseignement, qui est bien plus tourné vers la pratique et l’expérimentation. Et les résultats sont là, depuis, pour valider ce modèle. Tous les trois ans, l’OCDE, (Organisation de Coopération et de Développement Économiques) publie son classement PISA (Program for International Student Assessment), destiné à « mesurer les connaissances et compétences acquises de jeunes des quatre coins de la planète et la performance des systèmes éducatifs des pays ». Le dernier en date, en décembre 2016, plaçait la Finlande en 5ème place mondiale, derrière Singapour, le Japon, l’Estonie et Taïwan. La France, elle, ne figurait qu’à la 26ème place du classement¹, le rapport constatant surtout l’inégalité des chances dans notre pays.
Ainsi, deux tiers des élèves finlandais entament des études supérieures, le plus haut taux de l’Europe, et 93 % des élèves réussissent leurs études secondaires. Ce qui n’empêche pas la Finlande de continuer à explorer régulièrement de nouvelles pistes éducatives, comme au travers de la nouvelle réforme de l’enseignement professionnel, votée au début des années 2000, et qui ne s’est pas heurtée à l’opposition des enseignants et des syndicats.
L’entreprenariat est clairement valorisé dans l’enseignement.
Ces résultats ont des répercussions positives au niveau économique : le taux de chômage en Finlande s’est stabilisé autour des 6,6% et ce pays est l’un des plus dynamiques en termes de créations d’entreprises. On y compte par exemple 23 start-ups pour 100 000 habitants, contre 8 seulement en France. Même la violente chute de l’une des plus grandes entreprises du pays, Nokia, qui employait dans les années 2000 jusqu’à 24 000 personnes, a donné lieu à un rebond impressionnant. 400 start-ups ont été créées par des anciens collaborateurs de ce géant mondial de la téléphonie.
Là encore, ce dynamisme économique est directement lié au système éducatif. Dans les universités, de nombreux dispositifs existent pour aider les étudiants à créer leur entreprise. Des locaux sont mis à disposition des étudiants qui ont des projets de création, qui fonctionnent sous forme d’accélérateurs, avec des enseignants pour les accompagner et les conseiller. L’entreprenariat est clairement valorisé dans l’enseignement et les étudiants jouent un rôle de premier plan dans le secteur des nouvelles entreprises. L’agence gouvernementale TEKES peut même octroyer des prêts et des subventions allant jusqu’à plusieurs millions d’euros pour les projets les plus prometteurs.
Une véritable politique d’égalité des chances pour conserver nos talents
En France, si l’école est loin de bénéficier des mêmes résultats qu’en Finlande, avec un taux d’échec scolaire très supérieur, l’enseignement secondaire, notamment dans les matières techniques et technologiques, reste malgré tout très réputé. Nos ingénieurs et chercheurs sont recherchés par les grands groupes internationaux et sont très présents dans la Silicon Valley., mais aussi désormais en Chine, par exemple. Avec comme incidence une véritable « fuite des cerveaux », qui s’est accélérée autour des projets liés à l’intelligence artificielle. Conserver nos talents passerait d’après de nombreux experts par une véritable reconnaissance non seulement du travail des élèves dès l’école primaire, mais aussi de celui des enseignants, une profession pas toujours suffisamment considérée. Redonner confiance aux plus jeunes, lutter contre le sentiment d’échec, donner du temps à ceux qui en ont le plus besoin, valoriser les efforts, mener une véritable politique d’égalité des chances… Pourrait alors redonner un sentiment d’adhésion à un projet de société commun qui inciterait bien plus les jeunes entrant dans la vie active à y participer, et donc à rester. Autant de pistes qui ont déjà fait leurs preuves en Finlande et dont nous pourrions donc aujourd’hui nous inspirer.
- Plus de 500 000 élèves ont été testés dans le monde. Un échantillon qui se veut représentatif des quelque 29 millions de jeunes de 15 ans scolarisés au sein des 72 pays et économies participants.
Apprendre selon eGoPrism
eGoPrism considère qu’apprendre, c’est savoir tirer des enseignements de son environnement. Quatre potentiels sont particulièrement requis : bien évidemment et d’abord, celui de la Communication ordinaire lors de nos échanges quotidiens ; ensuite celui de la Spécialisation pour les apprentissages qui mènent à des compétences certifiées ; avec la Transmission et sa hauteur de vue, on tire des leçons générales à partir d’expériences éparses, que ce soient les nôtres ou celles qu’on nous relate ; enfin la Solidarisation octroie comme une science infuse, du fait qu’elle dégage une vision globale à partir de données provenant de secteurs cloisonnés.
Il suffit de combiner le potentiel d’Intervention et sa « machine à questions » à chaque pôle de ce quatuor pour donner envie d’apprendre aux autres : avec la Communication, le débat incitera chacun à développer son argumentation ; avec la Spécialisation, on stimulera le diagnostic des mécanismes-clés en jeu à partir de quelques faits significatifs ; avec la Solidarisation, on sensibilisera aux signaux faibles révélant une perturbation au sein d’un collectif fonctionnant comme un écosystème. Le binôme mobilisé de l’Intervention et de la Transmission est particulièrement typique du manager engagé dans le développement de ses collaborateurs : il permet de dégager l’essentiel dans la conduite d’autrui, en conjuguant l’encouragement de ses points forts et la critique constructive de ses points d’amélioration, ce qui motive à progresser.
Et vous ? Comment apprenez-vous et donnez-vous aux autres l’envie d’apprendre ? Par une pédagogie accessible et méthodique (Communication et Spécialisation) ? Par la diffusion d’une information que vous savez collecter puis interpréter (Communication et Transmission) ? Par votre aisance à réceptionner le vécu d’autrui pour le reformuler ensuite de façon qui l’éclaire (Communication et Solidarisation) ? Par le sens que vous donnez à un projet dont vous articulez et organisez les divers acteurs (Spécialisation et Transmission) ou par l’assistance que vous portez aux besoins des autres (Spécialisation et Solidarisation) ? A moins qu’à la faveur d’une Transmission et d’une Solidarisation conjointement mobilisées, vous sachiez fédérer le collectif dans un climat si positif que chacun envisagera l’autre comme un possible pourvoyeur de précieuses connaissances…
En pratique
On apprend tout au long de sa vie et particulièrement lorsque quelque chose n’entre pas dans notre cadre mental et qu’on s’en s’étonne au lieu de se braquer. De ce point de vue, est bien avisé le manager qui envisage, face aux réactions dissonantes de son entourage, que s’il a de bonnes raisons d’avoir tort, il a peut-être également tort d’avoir raison. Car explorer les subtilités relationnelles implique un savoir-être qui ne s’apprend qu’en progressant dans la connaissance de soi et la compréhension des autres.
« Se tromper pour mieux apprendre » – RH Info – Article de Nawal Abboub
« Qu’est ce que je suis bête d’avoir fait cette erreur» ou encore « Je n’ai pas pu répondre, je n’étais pas assez sure de moi! ». Qui n’a pas déjà prononcé ces phrases ? Nous faisons tous des erreurs, que ce soit dans notre travail, en classe ou encore dans notre milieu familial. Parfois, voire même trop souvent, nous hésitons même à tenter notre chance, terrorisé à l’idée que cela nous fasse passer pour une personne peu crédible, stupide ou encore manquant de connaissances. Nous pouvons être à ces moments là les pires juges de nous-même.
Source RH Info
« Comprendre la nature humaine »
Steven Pinker, Editions Odile Jacob
L’idée que chacun de nous se fait de la nature humaine affecte toute notre vie, de la manière dont nous élevons nos enfants à nos positions politiques. Les sciences permettent aujourd’hui de mieux la comprendre, de mieux cerner les structures innées qui régissent nos pensées et nos sentiments. Et pourtant, beaucoup redoutent que ces découvertes ne viennent justifier les inégalités sociales, empêcher le progrès, ruiner la notion même de liberté et de responsabilité. S’appuyant sur les données scientifiques les plus récentes, Steven Pinker dénonce les dogmes qui obscurcissent la vision de ce que nous sommes…
Steven Pinker est professeur de psychologie à l’Université Harvard. Ses recherches sur la cognition et la psychologie du langage lui ont valu plusieurs prix, notamment de l’Académie des sciences américaine.
« L’un de nous deux » – Théâtre du petit Montparnasse
de Jean-Noël Jeanneney, mise en scène par Jean-Claude Idée
Juin 1944, une prison en Allemagne. Derrière les barreaux, deux hommes côte à côte, et face à face : Léon Blum, fidèle de Jaurès et chef du Front populaire et Georges Mandel, collaborateur de Clemenceau. La mort immédiate s’annonce, pour l’un d’entre eux… L’intensité de leur dialogue se nourrit de cette angoisse, de leurs mémoires contrastées, de leurs tempéraments opposés, de leurs pudeurs bousculées, de leurs connivences révélées. Ils nous parlent de la République, au cœur de ses contradictions et au plus haut de sa dignité.
Lequel survira ?